Informaticien de profession, le Glandois Davide Giglioli publie un premier récit aussi curieux que savoureux. Rencontre.
"La fille qui posait des lapins"
Davide Giglioli.
Éditions Torticolis et Frères
www.torticolis-et-freres.ch
info@lacote.ch
Il nous a donné rendez-vous au Bulls Pub, en face de la gare de Gland. Après avoir emmené sa fille de trois ans et demi à l'école, Davide Giglioli nous accorde quelques instants autour d'un café avant de rejoindre Genève où il bosse comme informaticien. "Ça, c'est mon premier boulot , explique-t-il avant de rectifier, en fait non... mon vrai boulot, c'est d'être papa." Installé avec sa famille à Gland depuis 2010, cet Italien originaire de la région de Milan a beaucoup voyagé professionnellement avant de trouver en 2012 un poste fixe au Bureau international du Travail. C'est d'ailleurs dans la bibliothèque spacieuse de cette ruche abritant plus de 2700 fonctionnaires, durant ses pauses de midi, qu'il a écrit "La fille qui posait des lapins". L'histoire cocasse d'un narrateur nommé Georges - 1 mètre 85 pour 90 kilos - père de deux enfants, dont l'activité principale consiste à annoncer aux petits amis de sa fille Marinette (qui n'ose pas le faire elle-même) que cette dernière n'est plus amoureuse d'eux.
"L'idée du livre m'est venue en écoutant Georges Brassens , raconte cet homme affable vêtu d'un costume cravate et arborant une belle barbe rousse. Le prénom "Marinette" provient d'une de ses chansons dans laquelle un garçon se rend à des rendez-vous avec une fille qui ne vient pas. A force de déceptions, il veut lui exploser la cervelle mais voilà qu'elle est morte d'"un rhume mal placé". Et quand il se rend à ses funérailles, elle est déjà ressuscitée!" Davide Giglioli ne pousse pas la trame narrative de son ouvrage jusqu'à ce terme tragicomique, mais sa structure, de type répétitive, s'en inspire. "Grâce aux successives rencontres avec les ex de sa fille , poursuit-il, le père va peu à peu redécouvrir des aspects de la vie, comme la passion de sa femme, les mathématiques ou le sport."
Genèse insolite
Publié dans la jeune maison d'édition Torticolis et Frères, basées à la Chaux-de-Fonds, ce récit de la taille d'une nouvelle est né à l'occasion d'un cours de préparation à un examen de français dispensé par l'ONU. "En guise d'exercice, on nous demandait de rédiger des lettres fictives à notre boss, à notre femme , raconte-t-il. J'en ai eu marre et j'ai proposé à ma prof de composer une petite histoire. Ça m'a pris trois mois, puis j'ai intégré à la narration des passages plus réflexifs que j'avais écrits dans le passé."
Par exemple, le narrateur rencontre Vincent, un des nombreux ex de sa fille qui lui cite soudain une phrase de Goethe qui ne le laissera pas tranquille; il y aussi Grégoire, le matheux, dont l'étrange révélation sur le décompte des années bissextiles va occasionner un développement sur les liens entre une fonction mathématique et la courbe de l'existence. Ou encore la rencontre de Charles, le comédien, qui donne lieu à une jouissive déambulation à travers les cafés et les ruelles de Lyon. Autant d'improbables péripéties qui confèrent à ce livre son ton de légèreté allègre, son humour décalé. "Je trouve qu'il est plus facile de faire pleurer que rire , dé taille ce lecteur de Camus et Calvino. Je n'aime pas la tragédie - il y en a déjà assez, non? - donc, quand je peux, j'essaie de trouver le truc pour faire rire." Par ailleurs, le coup de force de Davide Giglioli est d'avoir écrit son premier livre en français avant de se traduire lui-même à la demande des éditeurs. Ce qui contribue grandement à la curiosité de cet objet littéraire que l'on peut lire dans les deux sens, tête-bêche, soit en italien, soit en français.
Honneur à la région
Le café terminé, Davide Giglioli nous propose de poursuivre la discussion en route. Né le 6 septembre 1973, "à 12h40, juste pour le repas" , plaisante-t-il tandis que la voiture rejoint la route cantonale, il a toujours aimé écrire, peut-être même avant de découvrir les mathématiques. "J'écris avec le coeur et la tête , confie-t-il. Lorsque certaines choses naissent de la tête, j'essaie de leur donner une épaisseur émotionnelle. Quand d'autres viennent du coeur, je les affine par la pensée." Chemin faisant, nous abordons Nyon, l'occasion d'évoquer ces lieux (Coppet, Céligny) et ces paysages (le lac, les Alpes) auxquels son livre rend aussi hommage. "J'adore cet endroit. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai écrit mon livre en français. Par rapport à l'Italie, il y a deux avantages. C'est moins densément peuplé et c'est plus soigné. Regardez-moi ces jardins colorés!" , s'exclame-t-il tandis que la voiture longe le parc du Bourg-de-Rive et sa mosaïque florale.